Le démon par Thérèse d'Avila
Extrait du
livre La vie de Thérèse d’Avila ch. 25
(…)
Autres signes de l'action du démon. Tous les biens semblent se cacher et s'enfuir de l'âme; le dégoût et le trouble s'emparent d'elle; aucun bon effet n'est produit. L'ennemi semble inspirer des désirs, mais ils sont sans vigueur; l'humilité qu'il laisse est fausse, inquiète et sans douceur. Tout cela, je crois, sera compris d'une âme qui aura éprouvé les effets du bon esprit. Néanmoins, le démon peut en cette matière nous tendre bien des pièges. Aussi, il n'y a pas sur ce point de faveur si assurée, qu'il ne soit plus sûr encore de craindre, de nous tenir sur nos gardes, et d'avoir un maître éclairé auquel notre âme soit entièrement ouverte. Avec de telles précautions, il ne peut nous arriver aucun mal.
Autres signes de l'action du démon. Tous les biens semblent se cacher et s'enfuir de l'âme; le dégoût et le trouble s'emparent d'elle; aucun bon effet n'est produit. L'ennemi semble inspirer des désirs, mais ils sont sans vigueur; l'humilité qu'il laisse est fausse, inquiète et sans douceur. Tout cela, je crois, sera compris d'une âme qui aura éprouvé les effets du bon esprit. Néanmoins, le démon peut en cette matière nous tendre bien des pièges. Aussi, il n'y a pas sur ce point de faveur si assurée, qu'il ne soit plus sûr encore de craindre, de nous tenir sur nos gardes, et d'avoir un maître éclairé auquel notre âme soit entièrement ouverte. Avec de telles précautions, il ne peut nous arriver aucun mal.
Quant à moi, j'ai eu beaucoup à souffrir des craintes excessives de
certaines personnes, surtout dans la circonstance que je vais rapporter.
Plusieurs d'entre elles à qui, pour de bons motifs, j'accordais pleine
confiance, s'étaient assemblées à mon occasion. Je ne m'ouvrais d'ordinaire
qu'à mon confesseur; cependant, sur son ordre, je parlais aussi quelquefois à
d'autres. Ceux-ci avaient pour moi beaucoup de dévouement, et craignaient que
je ne fusse trompée par le démon. Je le craignais extrêmement aussi quand
j'étais hors de l'oraison; car, pendant l'oraison même, Notre Seigneur, en
m'accordant quelque grâce, daignait me rassurer. Je crois qu'ils étaient cinq
ou six, tous grands serviteurs de Dieu. Mon confesseur me déclara qu'ils
prononçaient tous, d'un commun accord, que ce que j'éprouvais venait du démon;
ainsi, d'après eux, je devais communier plus rarement, et me distraire de
manière à éviter la solitude. J'étais craintive à l'excès; les souffrances du
cœur auxquelles j'étais sujette contribuaient encore à augmenter cette
disposition, de sorte que souvent, même en plein jour, je n'osais rester seule.
Voyant des hommes d'un tel mérite
affirmer ce que je ne pouvais croire, j'en concevais un très grand
scrupule, dans la pensée que cela venait de mon peu d'humilité. Ils étaient
tous en effet, sans comparaison, d'une vie plus édifiante que la mienne, et ils
avaient la science pour eux: pourquoi ne pas les croire? Je faisais tous mes
efforts pour cela; je me représentais les infidélités de ma vie, et à cette
vue, j'essayais de me persuader qu'ils disaient vrai.
Un jour, sous l'empire de cette affliction, je quittai l'église, et je
vins me réfugier
dans un oratoire de notre monastère. Je m'étais
privée pendant plusieurs jours de la communion et de la solitude, qui étaient
toute ma consolation. Je n'avais personne avec qui je pusse communiquer; car
tout le monde était contre moi. Les uns souriaient, ce semble, de pitié en
écoutant ce que je disais, le regardant comme le fruit de l'illusion; les
autres avertissaient mon confesseur de se tenir en garde contre moi; d'autres enfin disaient que l'action du
démon était manifeste. Seul, mon confesseur, tout en suivant leur avis pour
m'éprouver, comme je l'ai su depuis, me consolait toujours. Il me disait que quand bien même ce serait le démon, dès que
j'étais fidèle à ne point offenser Dieu, il ne pouvait me nuire; qu'au
reste, l'épreuve passerait, et que je devais le demander instamment à Dieu. De
son côté, il sollicitait avec ardeur cette grâce pour moi. Les personnes qu'il
confessait, plusieurs autres encore, unissaient leurs prières aux siennes dans
le même but. Toutes mes oraisons d'ailleurs, et toutes celles des âmes que je
savais amies de Dieu, ne tendaient qu'à obtenir de sa divine Majesté qu'il lui
plût de me conduire par un autre chemin. Pendant deux ans, ce me semble, nos
prières ne cessèrent de monter vers le ciel. Toutefois, nulle consolation ne
m'enlevait la peine où me jetait la pensée seule que le démon pouvait
m'adresser si souvent la parole. Car, depuis que je n'avais plus mes heures de
solitude pour prier, Notre Seigneur ne laissait pas de me faire entrer dans le
recueillement au milieu même des conversations; il me disait ce qu'il jugeait à
propos, et malgré toutes mes résistances, il me forçait à l'entendre.
Étant donc seule dans cet oratoire, loin de toute personne qui pût me
consoler, incapable soit de prier, soit de lire, brisée par la tribulation,
tremblant d'être dans l'illusion, accablée de tristesse et de trouble, je ne
savais plus que devenir. Cette douleur, que j'avais tant de fois ressentie, n'était
jamais, ce me semble, arrivée à cette extrémité. Je restai ainsi quatre ou cinq
heures, ne recevant aucune consolation ni du Ciel ni de la terre. Le Seigneur
me laissait dans la souffrance et en proie à l'appréhension de mille dangers.
O Seigneur de mon âme! comme vous montrez bien que vous êtes l'ami
véritable! Étant tout-puissant, quand vous voulez, vous pouvez. Jamais vous ne
cessez d'aimer, si l'on vous aime. Que toutes les créatures vous louent, ô
Maître du monde! Et qui me donnera une voix assez forte pour faire entendre
partout combien vous êtes fidèle à vos amis? Tous les appuis d'ici-bas peuvent
nous manquer; mais vous, Seigneur de toutes choses, vous ne nous manquez
jamais. Qu'elle est petite la part de souffrance que vous faites à ceux qui vous
aiment! O mon Maître, avec quelle délicatesse, quelle amabilité, quelle
douceur, vous savez agir à leur égard! Trop heureux celui qui n'aurait jamais
aimé que vous! Il semble, Seigneur, que vous éprouvez avec rigueur ceux qui
vous aiment, afin que, dans l'excès de l'épreuve, se révèle l'excès plus grand
encore de votre amour. O mon Dieu! Que n'ai-je assez de talent, assez de
science et des paroles toutes nouvelles, pour exalter aussi bien que je les
comprends les merveilles de vos œuvres! Tout me manque pour cela, mon divin
Maître! mais du moins, pourvu que votre main me protège, je ne vous
abandonnerai jamais. Que tous les
savants s'élèvent contre moi, que toutes les créatures me persécutent, que les
démons me tourmentent: si vous êtes avec moi, je ne crains rien. Je sais
maintenant par expérience, avec quel avantage vous faites sortir de l'épreuve
ceux qui ne mettent leur confiance qu'en vous seul.
Tandis que j'étais dans l'extrême affliction que je viens de dire, et
quoique à cette époque je n'eusse point encore eu de visions, ces paroles que
j'entendis suffirent seules pour m'enlever toute ma peine, et faire naître en
mon âme un calme parfait: « N'aie point de peur, ma fille, car
c'est moi; je ne t'abandonnerai point, bannis toute crainte ».
Dans l'état où j'étais, j'aurais cru que, même en employant de longues
heures à ramener la paix dans mon âme, nul n'aurait pu y réussir. Et voilà qu'à
ces seules paroles, je sentis renaître la sérénité; je retrouvai la force, le
courage, l'assurance, la paix, la lumière; en un instant j'avais été si
complètement changée, que j'aurais soutenu contre le monde entier que ces
paroles venaient de Dieu. Oh! quelle bonté en ce Dieu! quel bon Maître! et
qu'il est puissant! Non seulement il donne le conseil, mais encore le remède;
ses paroles opèrent ce qu'elles expriment. Comme il fortifie notre foi et
augmente notre amour!
Souvent, en pareille occasion, j'aimais à me rappeler cette tempête que
Notre Seigneur apaisa soudain en commandant aux vents de laisser la mer tranquille,
et je disais: Quel est celui auquel obéissent ainsi toutes les puissances de
mon âme, qui en un instant fait briller la lumière au sein d'une obscurité si
profonde, qui attendrit un cœur dur comme le rocher, et qui arrose de l'eau
rafraîchissante des larmes une terre que devait, ce semble, désoler une longue
sécheresse? Quel est celui qui allume ces désirs? Qui me donne ce courage? Car
voici les pensées qui s'élevaient alors dans mon âme: De quoi ai-je peur?
Qu'est-ce donc? Je veux servir ce Maître; je n'aspire qu'à le contenter; je
mets dans l'accomplissement de sa volonté toute ma joie, tout mon repos et tout
mon bonheur. Ce sont là mes sentiments, il me semble en être sûre et pouvoir
l'affirmer. Si donc ce Seigneur est tout-puissant, comme je le vois, si les démons sont ses esclaves, comme
la foi m'en donne la certitude, quel mal
peuvent-ils me faire, à moi, la servante de ce Seigneur et de ce Monarque? Pourquoi n'aurais-je pas la force de
combattre contre tout l'enfer? Je prenais en main une croix, et il me
semblait vraiment, tant était grand le changement soudainement opéré en moi,
que Dieu me donnait assez de courage pour en venir aux mains avec tous les
démons réunis; je sentais qu'avec cette croix je les aurais facilement vaincus.
Ainsi je leur disais: Maintenant, venez tous; étant la servante du Seigneur, je
veux voir ce que vous pouvez me faire.
Il est certain qu'ils avaient peur de moi: de mon côté, au contraire, je
demeurai si tranquille, et je les redoutai si peu, que toutes mes appréhensions
s'évanouirent. Ils m'ont quelquefois apparu, il est vrai, comme on le verra par
mon récit; mais ils ne m'inspiraient presque aucune crainte, ils semblaient
plutôt saisis d'effroi à mon aspect. Par un don du souverain Maître, j'ai gardé
sur eux un tel empire, que je n'en fais
pas plus de cas que de mouches. Je les trouve pleins de lâcheté: dès qu'on les
méprise, tout courage les abandonne. Ils ne savent attaquer que ceux qu'ils
voient se rendre à discrétion. Et si Dieu leur permet de tenter et de tourmenter
quelques-uns de ses serviteurs, ce n'est que pour un plus grand bien.
Plaise à sa Majesté de nous faire la grâce de ne craindre que ce qui doit
réellement nous inspirer de la crainte, et d'être bien convaincus de cette
vérité, qu'un seul péché véniel peut nous faire plus de mal que tout l'enfer
ensemble!
Si ces esprits pervers nous
épouvantent, c'est parce que nous leur donnons volontairement prise sur nous,
par notre attachement aux honneurs, aux biens, aux plaisirs. Nous voyant aimer et rechercher
ce que nous devrions avoir en horreur, ils conspirent avec nous contre
nous-mêmes, et ils peuvent ainsi nous causer beaucoup de mal. Nous leur mettons
en main les armes mêmes avec lesquelles nous devrions nous défendre. C'est là
ce qu'on ne saurait assez déplorer.
Mais si au contraire, par amour pour Dieu, nous avons en horreur les
faux biens de ce monde; si nous embrassons la croix; si nous sommes résolus à
servir vraiment le Seigneur; le démon,
en présence de telles dispositions, prend la fuite comme devant la peste. Ami
du mensonge, et le mensonge même, il ne fera point de pacte avec quiconque
marche dans la vérité. Mais s'aperçoit-t-il que l'entendement de quelqu'un
est obscurci, il travaille avec adresse à éteindre en lui un reste de lumière;
et dès qu'il le voit assez aveugle pour mettre son repos dans ces vanités du
monde, non moins futiles que des hochets d'enfant, il sent bien que ce n'est là
qu'un enfant; il le traite donc comme tel, et lui livre hardiment combat sur
combat.
Daigne le Seigneur m'accorder la grâce de n'être pas du nombre de ces
infortunés, de toujours regarder comme repos ce qui est repos, comme honneur ce
qui est honneur, comme plaisir ce qui est plaisir, et de ne pas faire le
contraire! Alors je me moquerai de tous
les démons, et ce seront eux qui auront peur de moi. Je ne comprends pas ces
craintes qui nous font dire: le démon, le démon, quand nous pouvons dire: Dieu,
Dieu, et faire ainsi trembler notre ennemi. Et ne savons-nous pas qu'il ne
peut faire le moindre mouvement, si le Seigneur ne le lui permet? Que
signifient donc toutes ces terreurs? Quant à moi, c'est certain, je redoute
bien plus ceux qui craignent tant le démon, que le démon lui-même.
Car pour lui, il ne saurait me faire de mal, tandis que les autres, surtout
s'ils sont confesseurs, jettent l'âme dans de cruelles inquiétudes. J'ai tant
souffert pour ma part pendant quelques années, que je m'étonne maintenant
d'avoir pu y résister. Béni soit le Seigneur, qui m'a tendu une main si
secourable !
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